sortie d'urgence

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Je m'appelle Olivier Garceau et, 
même si je suis ingénieur de profession, 
ma grande passion est la littérature. 
Je n'ai publié qu'une seule nouvelle (chez Horrifique),
 mais je fais tout pour que ce ne soit qu'un début. 
J'écris dans le genre horreur, fantastique, 
absurde et parfois très absurde.

L’agent immobilier – cheveux gommés, chemise, cravate, sourire resplendissant – baratine et gesticule dans la cuisine ensoleillée. Josianne écoute, pose des questions et me lance des commentaires enthousiastes, remarques auxquelles je ne réponds que vaguement. Quant à Cheveux-gommés, je lui porte encore moins attention. 
__ Dès le moment où j’ai passé la porte de cette maison – la quatrième aujourd’hui –, je me suis senti mal à l’aise. La chaleur m’a monté à la tête et l’atmosphère m’a semblé lourde et suffocante. J’ai pensé sur le coup que c’était la fatigue et l’émotion – magasiner sa première maison ce n’est pas rien –, mais ça fait bien vingt minutes et mon état n’a pas changé. 
__ Un claquement de doigts tout près met fin à mes réflexions. Josianne me dévisage, amusée par mon air perdu. 
______  T’es revenu parmi nous? 
__Je tente de lui sourire, ce qui semble la satisfaire. Elle quitte ensuite la cuisine en m’indiquant de la suivre. 
__Nous rejoignons Cheveux-gommés devant l’escalier menant au deuxième étage. Il nous explique que le niveau supérieur n’a jamais été modifié depuis la construction de la maison, voilà presque cent vingt ans. 
______ Quand même, siffle Josianne, impressionnée. 
______— Toutes les chambres sont au deuxième, chantonne l’agent en attaquant les marches. 
__ Une fois en haut, il prend à droite dans le couloir perpendiculaire à l’escalier courant sur l’étage. Aussitôt le palier atteint, le malaise que je ressentais explose et la nausée me submerge. Je m’arrête quelques secondes pour la refouler, à l’insu des deux autres devant moi. 
__Cheveux-gommés s’enfonce dans le corridor en papotant. Je songe à interpeller Josianne, mais je m’abstiens en me répétant que cette maison est la dernière de la journée. 
__ Je me remets en marche, mais à chaque pas j’ai plus chaud et l’ambiance est plus étouffante. Comment se fait-il qu’ils ne remarquent rien de tout ça?
__ L’agent et Josianne s’arrêtent devant la première porte à droite. Je les rejoins tant bien que mal pour constater qu’il s’agit d’une salle de bain. Je m’appuie au chambranle en vacillant. L’agent continue son monologue, mais je n’entends rien, je ne vois rien. Mon regard se porte alors à l’extrémité du couloir, où deux portes fermées se font face. Celle de gauche m’attire aussitôt. Son invitation muette et ses promesses cachées me fascinent. Je délaisse la salle de bain sans un mot. Mon trouble grandit à chaque pas, mais je continue. Je tourne la poignée.
__ Aussitôt entré, toutes mes forces me quittent et je m’effondre sur les genoux. Je suis peu à peu assailli par un désespoir immense, envahissant, impossible à supporter. Le tourment me tenaille l’estomac, un million de poignards me percent le corps. Je vois noir, je sens la mort, j’entends les plaintes de tous ceux qui se sont retrouvés ici par hasard. Je ne suis plus qu’un misérable être vulnérable en quête d’un réconfort qui ne viendra jamais. Au plafond il y a un chandelier, je pourrais y accrocher une corde; derrière il y a la salle de bain, je pourrais m’y noyer; devant il y a une fenêtre, je pourrais la briser et me taillader. Les possibilités sont infinies.
__ À ma droite j’aperçois une petite porte, pas plus d’un mètre cinquante de hauteur, peinte de la même couleur que les murs, mais bien évidente.
__ Cette fois je vomis, aspergeant le sol et mes jambes. C’est cette porte. Derrière il y a quelqu’un, ou quelque chose, qui séduit, qui attend, qui pourra anéantir la détresse qui m’habite. Je voudrais la rejoindre, elle et tous les autres qu’elle a conquis. C’est alors que Josianne arrive en courant. En me voyant, elle s’écrie :
______ Ah mon Dieu! Will? Qu’est-ce que t’as Will?
__ Elle panique. Ça ne sert à rien ma belle. La panique, la peur, les pleurs, garde-les, ils ne te seront plus utiles.
__ Cheveux-gommés demeure en retrait. Il grimace en couvrant sa bouche de sa cravate. 
______ C’est quoi? je lui demande en pointant la petite porte. 
______ Ehhh... ça c’est… c’est… (Il éloigne légèrement sa cravate.) A… avant c’était une sortie d’urgence en cas d’incendie, mais maintenant elle est condamnée. 
__ Insipide mensonge. Tant pis. Je tente de me lever pour marcher jusqu’à la fenêtre, mais mon corps ne répond pas. Peu importe, j’ai tout mon temps; la mort sait attendre.
__ Ma belle se secoue alors. Elle se penche, m’attrape sous les bras et me traîne hors de la chambre. Je voudrais y rester, y vivre pour l’éternité, mais je n’ai pas l’énergie de combattre. 
__ Elle me tire jusqu’à l’escalier puis appelle l’agent pour l’aider à me descendre. Ce dernier la rejoint en maugréant, s’empare de mes jambes et ils me transportent en bas. Cheveux-gommés me laisse aussitôt tomber avant de remonter, probablement pour nettoyer mon dégât. Josianne me remorque jusqu’à la porte d’entrée, libère une de ses mains pour ouvrir et me tire dehors. 
__ Elle me fait traverser la pelouse, ouvre la portière de sa voiture et me jette à l’intérieur. J’observe la maison. Elle semble si anodine, si semblable aux autres. Comment se fait-il qu’elle soit encore debout? Que personne ne l’ait brûlée? Détruite? Je détourne le regard; c’est sans importance. J’en suis sorti et déjà le souvenir s’effiloche. Ce désespoir n’était pas mien, mais a bien failli être mon dernier.
__ Josianne remue dans la voiture. Elle s’étire pour boucler ma ceinture, mais je lui signifie que je peux le faire. Mes forces me reviennent petit à petit. 
__ Je ferme la portière. Cheveux-gommés est redescendu et nous regarde depuis la porte d’entrée, perplexe. Il sait, mais fait semblant du contraire. Pourquoi lui n’est-il pas tombé? Pourquoi ne l’a-t-elle pas absorbé? Aucune idée. Un mouvement derrière nous attire son attention. Je m’étire pour apercevoir un jeune couple s’extirper de leur VUS. Ils vont visiter à leur tour. L’agent tente de retrouver son sourire éclatant, mais ses yeux refusent de suivre. Le couple se dirige vers lui. La fille est enceinte. Josianne démarre. J’espère qu’ils n’achèteront pas la maison.

Unknown

Suis-nous partout

1 commentaire:

  1. Une intrigue dont le sens nous échappe, et l'issu celle que l'on choisit. C'est comme une histoire sans dénouement. Elle réussit malgré tout à nous garder rivés à l'écran. Bien joué !

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